Ma lettre d’amour aux gestionnaires de marchés publics

Date

31 juillet 2025

Aux 150 marchés publics à travers le Québec : je suis fière de nous! ❤

-Un texte écrit par Kate Johansson
(4 minutes )

 

Aujourd’hui, j’avais envie d’écrire sur le métier insolite qui me façonne depuis maintenant quatre ans : gestionnaire de marché public. Un métier singulier aux chapeaux multiples, qui m’apporte une lumière indescriptible, malgré la vision sombre que j’ai du monde actuel, dès que je me retrouve dans le brouhaha de la foule et des étals multicolores de légumes frais.

Notre rôle en tant que gestionnaire de marché, c’est d’être un pont : un pont entre la population et les producteurs agroalimentaires. On veille à créer un espace attrayant et animé. Un lieu où les gens peuvent venir faire leurs emplettes à deux pas de chez eux, en contact direct avec celles et ceux qui cultivent et transforment les aliments que l’on met dans notre assiette. Un espace bien organisé, où les marchands peuvent se concentrer sur leurs ventes, faire rouler leur entreprise, et, espérons-le, en vivre dignement.

Dans un contexte dominé par les grandes chaînes de distribution, où la distance moyenne parcourue par nos aliments dépasse les 2 000 km, le concept de marché public propose un effet de résistance souverain à la force centrifuge des monopoles. Un moyen concret de décentraliser le système, de se réapproprier notre façon de consommer, en plus d’améliorer notre relation au monde en général par le contact humain.

Plutôt qu’une expérience d’achat nucléaire et dissociée (bonjour aux caisses libre-service), les marchés publics proposent une expérience collective et incarnée. Une expérience dont la place dans l’histoire connecte chacun d’entre nous à ses besoins primaires –se nourrir et tisser des liens.

Je pense que c’est pour ça qu’aller au marché nous rend tellement de bonne humeur. C’est une joie ancienne de nous retrouver là à chaque semaine, pour joindre l’utile à l’agréable. Et, disons-le, une joie bien contemporaine aussi, que de voir le temps ralentir pour une fois…

Je travaille dans le quartier qui m’a vue naître, là où ma famille paternelle – les Charette et les Latendresse – s’est installée dans les années 1930, quittant les campagnes de Saint-Esprit et de Sainte-Julienne pour s’enraciner à Pointe-aux-Trembles. Mes ancêtres y ont été instruits, se sont mariés, ont tenu commerces, bâtiments, emplois. Certain-es ancien-nes du coin me parlent encore d’eux parfois.

Et moi, grande nostalgique, je les imagine marchant près de la vieille grange rouge, dans les marches du couvent, sur la berge du parc du Fort, sous les arbres centenaires. Tout ça me rappelle leur passage, leur contribution à l’endroit où je me tiens aujourd’hui, et ça m’attache profondément à ces lieux –à cette Place du Village. Et évidemment, ma famille proche s’implique encore beaucoup à mes côtés et je leur en suis profondément reconnaissante. 🙏

Mais depuis quatre ans, c’est aussi des milliers de nouveaux visages qui ont croisé mon chemin. Des gens de qui je retiens les prénoms, les habitudes, les préférences, les parcours de vie. 

Aujourd’hui, après avoir eu carte blanche (ou presque!) pour développer le Marché public de PAT – et sa petite sœur, La Buvette du Quai – je ressens ce feeling unique, ce fameux “tissu social”; un réseau humain, tissé de petits moments, de regards croisés, de conversations sincères. Ces gens font partie de mon quotidien maintenant et je trouve ça émouvant ce constat…

Cet esprit de village typique de Pointo, où les gens engagent spontanément la conversation, a été le terrain de jeu parfait pour moi, grande bavarde et passionnée de gastronomie. Gastronomie qui trouve évidemment son germe dans les produits de notre terroir! Dans le savoir des sols, de la cueillette, de la complémentarité des cultures et des animaux, du pâturage, de l’abattage, de la panification, de la fermentation, etc. Ces mêmes gens qui venaient en cuisine présenter leurs produits au Toqué!, je les retrouve maintenant sur la Place du Village à échanger des recettes avec Francine, Jean-Yves, Jaynaba.

Et j’ai l’intime conviction que c’est cette culture paysanne de la cuisine – simple, vraie, peu transformée, où le produit brille par ses qualités propres – qui rend les marchés publics si rassembleurs. Les marchés ont ce pouvoir unique de briser les murs, les silos socio-démographiques qui ont pris le mauvais pli de nous diviser dans l’actualité et dans nos activités.

À travers ce métier, je me sens au service de quelque chose qui mérite de survivre à l’époque trouble que nous traversons :

🌱 Le lien à la terre nourricière, par l’alimentation.
🤝 Le lien à notre humanité, par notre coexistence dans l’espace public.

Être dans le monde, c’est prendre le vrai pouls de notre société, c’est de vivre l’instant

Pas à travers un écran ou à travers des propos rapportés. 

Être dans le monde, c’est de se donner une chance –individuelle et collective– de pouvoir résonner avec ce qui nous entoure.

Arrêter de ruminer notre impuissance…

En nous côtoyant chaque semaine, chaque petit échange, chaque petit regard ou sourire partagé contribue à éroder la méfiance.

À force de se croiser, on finit par se reconnaître.

Et à force de se voir de loin, on se rapproche.

Nous sommes grégaires.
C’est comme ça.

Et je vous jure qu’à chaque samedi de l’été, je vois tout ça prendre vie sous mes yeux.

Y’a d’ailleurs mon ami Claude, grand amateur de Goethe avec qui je philosophe là-dessus quand on se croise au marché. 😅

Ce travail, c’est ma lueur d’espoir pour l’avenir.

Offrir aux enfants des souvenirs doux et une culture alimentaire précieuse.

Repousser la haine et l’indifférence.

Agir face à l’insécurité alimentaire alarmante de nos concitoyen-nes.

Décloisonner nos esprits, nos chambres d’échos.

Prendre soin de nos espaces partagés.

Rire, goûter, apprendre, s’émerveiller ensemble, quels que soient nos parcours ou l’état de notre compte en banque.

À 35 ans, j’ai appris que ma raison d’être, c’est de semer de petites parcelles d’accueil et de fun, là où je peux.

Créer des espaces où chacun-chacune peut se sentir exister et être bienvenu-e de le faire.

Le temps d’un marché, partout au Québec, je souhaite que l’on ait collectivement conscience de participer à la beauté du monde. À une économie de proximité porteuse de retombées sociales et environnementales importantes. Et surtout, à un leg culturel puissant qu’il faut absolument transmettre aux jeunes générations.

Longue vie aux marchés publics et célébrons ensemble le réseau résilient que nous sommes en train de bâtir à travers la province.

Du 31 juillet au 10 août 2025, c’est la semaine des marchés publics du Québec. Visitez-en un!

Visitez mangeonslocal.ca pour trouver un marché public près de chez-vous.